Jean-Michel Pilc – piano solo
Sortie le 3 février 2015
Label : Sunnyside Records
La langue du jazz a de nombreux dialectes. Elles peuvent être régionales, culturelles ou générationnelles. On pourrait dire que chaque musicien doit être responsable de son propre dialecte, s’il veut être un talent vraiment distinct. Une déclaration originale, en l’occurrence une mélodie, présentée par un musicien peut être interprétée de multiples façons. Le pianiste Jean-Michel Pilc, né à Paris et installé à New York, explore ce concept en profondeur dans son nouvel album solo, What Is This Thing Called? Dans des conditions optimales, Pilc a enregistré ce qui constitue des thèmes et des variations uniques basés sur la célèbre chanson de Cole Porter, « Le monde de la musique ».What Is This Thing Called Love? » Au lieu de créer un exercice fastidieux de répétition d’idées similaires, l’enregistrement présente un formidable portrait du vaste langage musical que Pilc a développé au cours de ses trois décennies en tant que musicien de jazz professionnel. Pilc s’est imposé comme un compositeur respecté, un chef d’orchestre et un accompagnateur, ainsi qu’un formidable pianiste, très apprécié par ses pairs et considéré comme une influence majeure par nombre de ses jeunes collègues. Sa technique et son goût sont reconnus depuis de nombreuses années. Les dons de Pilc se révèlent de manière frappante lorsqu’ils sont entendus en solo. Les auditeurs ont la chance d’avoir deux précédents Il existe deux exemples de son travail en solo : Follow Me (Dreyfus, 2004) et Essential (Motéma, 2011). Pilc propose à Sunnyside un nouvel album solo et contacte son ami et collègue pianiste Dan Tepfer, qui vient de sortir un récital solo enregistré chez Yamaha Artist Services à New York. Pilc, déjà artiste Yamaha, a contacté Tepfer, qui l’a aidé à trouver du temps pour Pilc au studio et à utiliser un magnifique piano Yamaha CFX pendant trois jours, et qui s’est chargé de l’enregistrement et du mastering de l’album. Le studio offrait un cadre à l’abri des distractions, Pilc pouvant venir quand il le souhaitait et enregistrer seul. Au départ, il a enregistré toutes sortes de morceaux sans aucune pression. C’était un environnement idéal pour un improvisateur. Au sortir des sessions d’enregistrement, Pilc a réécouté les morceaux enregistrés. Il a remarqué que des passages de la chanson de Cole Porter « What Is This Thing Called Love » (Qu’est-ce que c’est que l’amour ?)étaient continuellement mis en évidence dans son esprit. Cet air a été extrêmement populaire auprès des musiciens de jazz, à tel point que les interprétations de différents interprètes pourraient facilement donner à un auditeur attentif un aperçu des particularités d’un interprète à l’autre. Pilc avait déjà essayé ces « variations » sur le thème de Porter et d’autres airs dans des situations en direct. Mais la simplicité et la beauté unique de l’air de Porter ont attiré Pilc. Au final, Pilc a obtenu trente interprétations différentes de la mélodie, dans la plus pure tradition de Bach, Mozart, Beethoven, Schubert, Brahms et bien d’autres. On y trouve de longues improvisations et des vignettes plus courtes, qui se distinguent toutes par une essence particulière de la mélodie originale de Porter, que ce soit un soupçon de mélodie, une nuée de couleurs harmoniques ou une juxtaposition rythmique. Toutes ces pièces sont entièrement improvisées et sont nées dans l’instant – « Compositions instantanées », c’est ainsi que Pilc aime à les qualifier. Après une écoute répétée, les titres des improvisations décrivent bien le ton des pièces individuelles. De l’énergie calme et attendue de « Dawn » à l’émotion de « Grace », en passant par l’humour de « Martial » et la tranquillité de « Bells », les morceaux créent une collection émouvante de moments musicaux qui s’étendent sur l’humeur et les couleurs. Certains morceaux ont été dédiés aux héros, mentors et amis de Pilc, notamment « Martial » pour la légende française du piano Martial Solal, « Grace » pour Kenny Werner – Pilc a déjà joué en duo avec les deux – et, bien sûr, « Duke » pour M. Ellington. Le merveilleux film de Pilc, What Is This Thing Called ? présente une étonnante collection d’improvisations construites autour d’une seule source musicale, la composition intemporelle de Cole Porter « What Is This Thing Called Love ? » (Qu’est-ce que cette chose appelée amour ?). Il est étonnant d’entendre la variété de sons, d’ambiances et de textures qui peuvent émerger d’un même matériau de base. Bien sûr, il faut un musicien étonnant comme Jean-Michel Pilc pour réussir ce genre d’exploit.
Critique
Dans les vastes archives des enregistrements de piano solo de jazz, celui-ci a peu de précédents. Ses 68 minutes contiennent 31 morceaux, dont beaucoup durent moins d’une minute, la plupart moins de deux. À l’exception d’un seul, ils sont tous complètement improvisés.
L’album est une expérience d’écoute stimulante. Le temps que vous vous accrochiez à un morceau, il n’y en a plus. Le processus créatif de Jean-Michel Pilc est un flux musical de conscience, mais pas aléatoire. Il existe un fil conducteur. L’exception mentionnée ci-dessus est « What Is This Thing Called Love ? » de Cole Porter. Il a été le favori des pianistes de jazz, de James P. Johnson à Gerald Clayton. Pilc lui donne une reconnaissance spécifique de 80 secondes, morose et fragmentée. Les autres morceaux improvisés sont vaguement (parfois très vaguement) basés sur cette chanson.
Le suspense est créé par le fait que les ressources pianistiques de Pilc sont considérables. Vous attendez avec impatience son prochain mouvement. « Cole », d’une durée de quatre minutes, est une vaste et complexe superposition à la mélodie de Porter, à laquelle elle est reliée à quelques endroits. « Glide », d’une durée de 51 secondes, est un mélange de quelques idées brillantes dans les crevasses de la chanson. « Waves » est fidèle à son titre, intriguant comme une effusion de piano. Une fois seulement, la mélodie de Porter est perceptible dans les vagues cyclistes et déferlantes. Parfois, sur des morceaux comme « Bells » et « Time » (une charmante spirale ascendante de 51 secondes), l’association avec Porter doit être prise au pied de la lettre.
Parmi les vignettes, on trouve également des pièces pleinement développées, comme le tonitruant « Prélude » de cinq minutes, brutal et dense comme du Rachmaninov. L’album se termine par un résumé éthéré intitulé « Now You Know What Love Is ». Malgré ses allusions intermittentes à Porter, c’est quelque chose de nouveau, de poétique et de concluant sur le véritable sujet de l’album, le mystère de l’amour.
Cet album est plus qu’intelligent. Il s’agit d’un acte d’imagination soutenu qui, à partir d’une source musicale unique, permet d’obtenir une remarquable diversité de formes et d’émotions. ~ par Thomas Conrad 25 avril 2019. JazzTimes